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Retour aux sources

Parfois, y’a des gens qu’on rencontre pour la première fois et de qui on se sent proche comme si on se connaissait depuis longtemps.

C’est l’impression que j’ai eue en rencontrant Stéphane Denis, propriétaire du centre de plein air Kanatha-Aki, situé à Val-des-Lacs dans les Laurentides.

Outre sa poignée de main ferme et chaleureuse, on sent sa fierté de faire connaître ce qu’il a bâti. Sa famille est partie prenante de cette entreprise originale établie depuis 17 ans. En quelques secondes, son enthousiasme avait aussi charmé ma nièce, Kasara, à qui j’avais confié la lourde tâche de bien me faire paraître sur les images.

Cette préoccupation de faire du plein air une affaire de famille m’a d’emblée séduit.

— Ma mission est de ramener les gens à la nature, avance Stéphane sans détour. On vit tous dans des bulles, on ne connecte plus aux éléments de la nature, comme nos ancêtres le faisaient. Moi, j’offre l’occasion aux gens de redécouvrir toute la richesse de la Terre.

Sur le site, plusieurs activités sont offertes, dont l’équitation, le traîneau à chiens, des séjours de survie en forêt avec un guide certifié, ainsi que plusieurs formes de pêche, comme la pêche sur glace et la pêche à la main. Plus de 15 000 personnes sont ravies de découvrir cet endroit magnifique chaque année.

Le départ

Aujourd’hui, Stéphane nous propose comme programme principal une nouvelle activité appelée l’escalade en torrent. Bien que j’aie une petite idée en quoi ça consiste, je n’ai pas le temps de lui poser de question pour éclaircir la situation, car il nous demande sans reprendre son souffle :

— Aimez-vous la tyrolienne ?

Quelle question ! Qui n’aime pas la tyrolienne ? Enthousiaste en prenant la mesure des sourires qui nous barbouillent le visage, Stéphane enchaîne déjà avec des précisions :

— Nous avons un parcours de 18 tyroliennes en forêt, ça vous tente de l’essayer ?

— Bien sûr !

— Pis en chemin, j’ai prévu quelques surprises !

Je ne suis pas surpris d’apprendre que Stéphane cherche à nous surprendre; c’est un gars qui a conservé le caractère spontané de son enfance. Ça se sent et je constate par l’expression enjouée de Kasara qu’elle partage cette impression.

Nous serions prêts à le suivre n’importe où !

L’escalade en torrent

Arrivé sur le site, je comprends pourquoi Stéphane nous a recommandé de mettre des souliers d’eau. L’escalade en torrent consiste en fait à jouer aux saumons ! On remonte le courant d’un cours d’eau en l’escaladant.

Ce cours d’eau qu’il a nommé le torrent des Bisons (oui, oui, bison, ça paraît étrange en pleine forêt, mais y’a une raison…) est niché dans une dépression rocheuse qui forme un genre de vallée sédimentaire en plein milieu de la forêt. Non seulement c’est superbe, mais ça me rassure un peu ! Ma confiance vient de bondir d’un coup, c’est le genre d’activités que je faisais spontanément quand j’étais ti-cul !

La particularité du site est que la topographie du ruisseau est parfaitement adaptée à ce genre d’activité : juste assez inclinée pour offrir un défi et juste assez indulgente pour ne pas devoir recourir à de l’équipement d’escalade.

C’est vraiment une activité accessible à tous, tant qu’on progresse à son rythme.

Stéphane nous rappelle la technique :

— Soit on marche sur les roches en surface, où il faut alors faire très attention où on pose les pieds, car certaines roches peuvent être très glissantes en raison de la présence de mousse. Ou soit on marche carrément dans le fond du cours d’eau, ce qui nous assure une certaine stabilité. Vous êtes prêts ? C’est un départ !

Encore indécise sur la technique à adopter, Kasara se lance pourtant à la suite de notre guide sans hésiter. C’est maintenant moi qui suis surpris : elle n’a même pas pensé à apporter son iPhone !

Reste sur tes gardes, Conrad

Dès les premiers pas, je comprends pourquoi il faut porter un casque. Bien que ça semble facile et que j’avance avec confiance, il suffit d’un petit moment d’inattention et on se retrouve les fesses à l’eau !

L’eau est fraîche, mais c’est parfait. Quelle belle activité à faire par temps chaud !

Si Kasara s’en tire mieux que moi et qu’elle ne se gêne pas pour me le faire savoir, je prends rapidement de l’assurance en privilégiant la méthode lit de la rivière. Comme j’ai maintenant eu l’occasion de faire des rapprochements intimes avec le cours d’eau, je me sens maintenant plus à l’aise de l’embrasser avec la plante de mes pieds.

Il faut quand même rester vigilant. C’est que je ne tiens pas à démembrer une salamandre, une grenouille ou toutes autres créatures qui fréquentent la place ! Il est aussi assez difficile de percevoir clairement la profondeur du cours d’eau en raison de l’ombre, des plantes et de l’eau qui s’embrouille à la suite de nos pas.

Notre trio prend tranquillement son rythme, et je ressens les bienfaits du mouvement sur mon corps. Les cuisses commencent à me chauffer et j’essaie de compenser en prenant appui sur mes bras, mais j’ai tout de même le souffle court. L’ado prend une pause pour souligner chacune de mes maladresses. Faut dire que c’est de bonne guerre, car je n’ai pas l’habitude de l’épargner ! Pas drôle de vieillir !

Outre le plaisir du mouvement, je ressens une joie immense à travers ces contacts directs avec cet écosystème fascinant. La forme et l’odeur des nombreuses plantes, la texture des roches et de la terre, la douceur de la mousse sur laquelle je prends appui, mais surtout le ruissellement constant de l’eau qui chante à mes oreilles. Toutes ces sensations sont un pur ravissement.

Prise la main dans l’eau

Après une bonne demi-heure d’ascension, nous sommes parvenus au début du cap de roche qui s’impose au sommet de la colline. À cet endroit s’est formé un bassin où nous attend notre première surprise. En plus des connaissances et de ces anecdotes qu’il nous partage avec générosité tout au long du parcours, Stéphane demeure fidèle à ses promesses. J’ai bien hâte de voir ce qu’il nous a réservé !

— Dans ce bassin vit une truite qui n’a nulle part où aller. On peut donc essayer de l’attraper à mains nues ! s’exclame Stéphane, tout excité.

— Sans blague ! Et comment on fait ça ?

— Il y a deux techniques : on peut utiliser la technique de l’ours en tentant d’attraper le poisson avec les mains, paumes vers le haut. Ou encore utiliser la technique de l’aigle en formant des serres avec les doigts pour saisir la truite sur le dessus. Dans les deux cas, il faut fouiller l’eau avec les mains pour la trouver. Et dès qu’on la sent, on sert, mais pas trop, car elle va se débattre et nous filer entre les doigts. Regardez, je vais vous montrer.

Stéphane s’installe à l’ombre d’une roche. Il s’accroupit quelques secondes et en ressort presque aussitôt avec la truite qui semble résignée. Ça paraît facile !

— Tu veux la tenir ? me défie Stéphane, en riant sous cape.

J’avance en bombant le torse pour masquer mon anxiété.

— Pourquoi pas ?

C’est bizarre, mais dès que j’essaie de la prendre, mon premier réflexe est de la serrer. Comme Stéphane l’avait prévu, le poisson se crispe et s’enfuit en quelques coups de queue.

— À ton tour maintenant ! me dit-il, confiant.

Il ne doit pas y avoir plus d’un pied de profondeur, et la mare ne fait pas plus de six pieds de largueur; je dois bien être en mesure de l’attraper, la vilaine !

Mais j’ai beau invoquer les esprits de l’ours et de l’aigle, m’asseoir dans le fond de la rivière pour lui bloquer le chemin, faire des mouvements de nage synchronisée sous la surface de l’eau pour lui tendre un piège, elle arrive chaque fois à me déjouer. Les mystères de la nature sont parfois si difficiles à saisir !

— Comment faisaient nos ancêtres pour survivre dans la nature ?

— Patience, vigilance, entraide et partage de leurs connaissances pratiques sur les cycles de la nature, me répond Stéphane, comme si cela allait de soi.

Définitivement des qualités que nous avons perdues. Tout est tellement facile dans nos vies ! C’est effectivement tout un cadeau que de nous donner l’occasion de le constater.

La sagesse des bisons

Mais je n’ai pas trop eu le temps de philosopher davantage sur la question, car notre deuxième surprise se dresse devant nous, et Stéphane nous invite à nous en approcher en désignant du doigt la grosse clôture qui trône au sommet de la colline. Maintenant, je comprends d’où provient le nom du torrent que nous venons de quitter.

— C’est notre enclos de bisons. Ils ont plusieurs hectares pour batifoler. Cette année, il y a eu plusieurs petits qui sont nés. On va les appeler, vous allez pouvoir les voir de près.

Stéphane s’empresse de ramasser des herbes fraîches, et un grand monsieur armé d’un chapeau à moustiquaire se joint à nous. C’est le père de Stéphane, le spécialiste des bisons. Il appelle le troupeau avec des chants et des cris, il accompagne le son de sa voix en tapant sur des mangeoires métalliques. On entend des grondements, j’ai l’impression que les bisons répondent pas mal plus vite qu’un ado qu’on appelle pour le souper !

— J’ai vécu pendant 40 jours en compagnie des bisons dans le but de mieux les comprendre, affirme notre connaisseur, rayonnant, et ça fait des années que je lis sur eux, que je les observe et, pourtant, j’en apprends encore tous les jours ! Quel animal fascinant !

Quelques secondes plus tard, on voit déjà les premières têtes apparaître. Les bêtes avancent en rang de façon très ordonnée, et n’ont définitivement rien à voir avec des ados ! Notre spécialiste attitré commente :

— C’est la femelle dominante qui ouvre la marche, son rôle est de guider le troupeau. Le mâle dominant reste derrière, son rôle à lui est de le protéger.

À mesure que les bêtes approchent, nous prenons conscience de leur taille colossale. J’ai peine à imaginer l’ampleur du spectacle que pourrait offrir une horde de plusieurs milliers de têtes en pleine course. Le sol devait en trembler. Dire que nos ancêtres s’attaquaient à ces bêtes, armés de bâtons et de pierres, j’en ai des frissons. Faut vraiment que ça te tente de manger un hamburger pour déranger cet animal tout en muscles !

— C’est un animal très intelligent qui possède une force mentale incomparable. C’est pour cette raison qu’il peut s’adapter à la plupart des climats terrestres. Il peut affronter une température de 50 degrés, aussi bien qu’un – 50 degrés Celsius. Dans son esprit, il n’y a aucune différence, conclut le père de notre guide.

Si nous pouvions transplanter ne serait-ce qu’une partie de cette sagesse en nous, nos petits problèmes du quotidien nous paraîtraient bien futiles, pis ça nous coûterait pas mal moins cher d’hydro !

Tarzans modernes

Le temps est maintenant venu de conclure notre aventure avec un parcours de 18 tyroliennes.

Après nous avoir transmis quelques techniques et règles sécuritaires, Stéphane nous « lâche lousse » pour explorer ce parcours de tyroliennes qui survole en partie le canyon et le torrent des Bisons dont nous venons de faire l’ascension.

Nous volerons ainsi pendant 45 minutes entre les branches des arbres sans jamais mettre le pied à terre.

L’invention qui permet de rester accroché aux arbres sans avoir à redescendre est un mousqueton relié à un fil de fer appelé la ligne de vie. De cette façon, nous pouvons braver les hauteurs en toute quiétude.

C’est parti, mon kiki !

Dès les premières secondes, je reconnecte avec cette sensation unique de liberté qui surgit en moi quand le vent prend d’assaut, dans un même souffle, toutes les parties de corps.

Wow !

Les parcours offrent des points de vue variés sur la vallée, la forêt et les cours d’eau qui la traversent. Certaines lignes sont plus rapides que d’autres, mais toutes partagent ce côté immersif qui se distingue de tous les autres parcours de tyroliennes que j’ai déjà faits dans le passé.

On a beau être suspendu à un fil, on fait vraiment partie de la forêt. On est si près des arbres qu’on peut toucher leurs feuilles. Des caresses qui ne rendront jamais personne jaloux, car tout le monde y a accès en étendant un bras ou une jambe. Je te rassure tout de suite, c’est sans le moindre danger !

Ce qui distingue le parcours offert par Kanatha-Aki des autres sites de tyroliennes, n’est ni la hauteur ni la vitesse ou encore la distance que l’on parcourt suspendu au fil de fer. C’est ce sentiment unique qui nous accompagne à chacune des descentes : celui d’être une partie intégrante de la nature.

Après quelques descentes, on oublie tout à coup qu’on vit habituellement au sol et que l’on a des obligations reliées à cette réalité. C’est comme si on nous donnait l’occasion de constater d’un point de vue plus global la simplicité de la vie.

Car, au bout du compte, c’est parce que nous avons tenté de modeler la nature à nos désirs que nos vies se sont compliquées. J’ai le pressentiment que je garderai des souvenirs très vivaces de cette journée.

Sur le chemin du retour

Avant de le quitter, nous remercions notre guide pour son chaleureux accueil et ses précieux enseignements. L’accolade s’impose naturellement, comme un ami de longue date que je me promets de revoir.

Merci !

Grâce à toi, Stéphane, je sais à quoi servent les moustiques, quel genre de flore vit dans les cours d’eau, comment se forment les canyons, comment attraper un poisson sans équipement (bon, OK, j’ai encore besoin de pratique à ce sujet…), comment font les bisons pour communiquer, quand et pourquoi les loups hurlent tous ensemble… mais, surtout, je sais que, pour connecter avec la nature, il ne suffit pas de se contenter d’y être de passage pour l’admirer : il faut aussi pouvoir s’y abandonner comme un enfant le fait d’instinct avec ses parents.

Mais malgré tout ce que j’ai appris, y’a encore une question qui me turlupine :

— Qu’est-ce que ça veut dire Kanatha-Aki ?

Son visage s’illumine, comme s’il attendait que je pose la question.

— Ça signifie en langue algonquienne : « gardien de la terre sans frontière ». Cela nous rappelle que nous devons réapprendre à aimer la terre telle qu’elle est, c’est-à-dire sauvage. Si on la considère comme imparfaite et que nous avons envie de la modifier, c’est que notre regard sur la nature n’est pas encore assez aimant.

Quoi de mieux que de terminer cette aventure sur ces sages paroles.

Peut-être oserai-je avancer un dernier mot : PARDON ! Ou plutôt des milliers de « je suis vraiment désolé » pour toutes les fois où, par égoïsme, j’ai abîmé ma mère la Terre.

Manifestement, j’avais encore besoin de me faire rappeler d’où je venais.